Fabian Cancellara : « Je ne viens pas d’une autre planète »

Dans le blog olympique de Swiss Olympic Fabian Cancellara se raconte d'une façon très personnelle après une saison magique.


Ces vacances m’ont fait du bien ! J’étais loin de tout, à la plage, j’ai « flemmardé » – c’est exactement ce qu’il me fallait. Et, c’était le plus important, j’ai pu enfin consacrer un peu de temps à ma famille même si j’ai eu de la peine à tourner la page sur cette saison intense où tout est allé si vite, surtout après mon titre aux CM en Australie. Tout ce stress avant les vacances ! Et quand on arrive enfin à « débrancher », les vacances sont d’ordinaire sur le point de s’achever.

J’ai l’impression que le stress devient toujours plus important, et j’ai toujours moins de temps à ma disposition : maintenant que la saison est finie, certains ont cinq semaines pour se reposer. Et moi je réponds à des interviews, je dois apparaître à des manifestations. Au fond, je préférerais préparer gentiment les décorations de Noël. Mais une fois au sommet, il n’y a vraisemblablement plus de saison morte. Après chaque nouvelle victoire, les sollicitations deviennent encore plus nombreuses. Tous veulent quelque chose de moi. Il m’est difficile de tout concilier. Lorsque, fin octobre, on m’a décerné le Vélo d’or, l’écho médiatique a été retentissant. Cette distinction a bien évidemment été un très grand honneur pour moi. Mais elle m’a pris beaucoup de mon temps, ce qui m’a contraint de déclarer forfait pour d’autres prix. Il faut parfois pouvoir dire non. La famille compte davantage.

Evidemment, de telles distinctions me remplissent de fierté : elles ne récompensent pas qu’un exploit unique, mais couronnent l’ensemble d’une saison. De toute manière, je suis fier de ce que j’ai accompli. Et si les honneurs suivent, il est toujours agréable, en sport, de se retrouver sur la marche la plus élevée.

Une saison historique
Cette saison a vraiment été exceptionnelle : avec le Tour des Flandres et Paris-Roubaix, j’ai remporté deux classiques ; par ailleurs, j’ai endossé le maillot jaune au Tour de Suisse et au Tour de France. Enfin, j’ai remporté un quatrième titre mondial en contre-la-montre en Australie, un exploit que personne n’avait encore réussi avant moi. Mais cette saison a été également très agitée. Tout est allé si vite ! J’ai été sur la route entre 200 et 250 jours, dont près de cinq semaines rien que sur le Tour de France. J’ai enchaîné les courses et j’ai été absent pendant des mois, parfois cela a été dur. Parce que je voulais aussi me prendre du temps pour ma famille. Cela n’a pas été toujours simple. Quelquefois, selon où je me trouve, ma femme et ma fille peuvent me suivre, et c’est toujours un moment exceptionnel lorsque, après une course difficile, je peux passer la soirée avec elles. Concilier famille et sport n’est possible qu’avec une planification très stricte, cela demande du temps et des nerfs. Mais si l’on veut avoir du succès, on est bien obligé de se livrer à fond.

Les plus beaux souvenirs de cette saison ? Il y en a tant eu ! Par exemple lorsque j’ai remporté Paris-Roubaix et que ma famille était auprès de moi au vélodrome de Roubaix. Cela a été un moment très fort. Le Tour de France a été un autre grand moment, avec tous ces hauts et tous ces bas, tous ces sentiments mêlés avec ce que nous avons vécu avec l’équipe, comme lorsque j’ai perdu le maillot jaune et que je l’ai reconquis. Je n’ai pas de stratégie pour digérer ce genre de situation sur le plan mental. Mais désormais, je suis extrêmement expérimenté et j’ai beaucoup de routine, cela m’aide également au niveau mental.

« Dans le cercle familial, la performance n’est pas si importante »
Je n’ai pas vraiment eu le temps de célébrer mon titre mondial. Avec les proches, j’ai fêté cette année exceptionnelle. Mais, dans le cercle familial, la performance n’est pas si importante. Lorsque je gagne une course, je ne m’attarde pas et je regarde devant moi. La victoire n’a jamais rien d’une évidence, mais gagner fait désormais partie de mon métier. Et cela engendre une certaine routine.

Difficile pour moi de dire quelle est ma victoire la plus importante à mes yeux. Peut-être mon quatrième titre mondial, qui m’a fait entrer dans l’histoire comme le meilleur spécialiste de contre-la-montre de tous les temps. Ou le doublé Tour des Flandres – Paris-Roubaix de cette année. A moins que ce ne soit mon titre olympique à Pékin, en 2008. Depuis lors, il n’y presque pas eu de victoire qui n’ait pas représenté un nouveau sommet. A ce niveau, c’est presque du luxe !

Le Tour de France reste hors de portée

Oui, vraiment, j’ai vraiment presque tout gagné ce qu’un cycliste peut remporter. Mais cela ne m’empêche pas de continuer à caresser des rêves. Parce qu’on peut toujours rêver. Par exemple d’acquérir une île dans les Caraïbes. Ou de gagner le Tour de France. A onze ans, j’en rêvais déjà. Et pourtant, qu’importe la pression désormais toujours plus forte, je sais que c’est un rêve que je ne réaliserai jamais. A coup sûr, je raccrocherai avant, je veux encore un peu profiter de ma vie.

C’est justement ce caractère inaccessible qui distingue un rêve d’un objectif : un objectif peut être atteint si on s’engage en conséquence, mais pas un rêve. C’est pourquoi un sportif ne doit pas rêver mais se fixer des objectifs, et lutter pour les atteindre. Des objectifs, j’en ai encore, bien entendu. Mais je le reconnais : ce n’est pas si facile de m’en fixer de nouveaux pour l’année prochaine, maintenant que j’ai presque tout gagné. C’est beau de pouvoir écrire l’histoire, cela me motive énormément, mais, en soi, cela ne me suffit pas.

Je courrai la saison prochaine dans une nouvelle équipe. Laquelle ? Je ne le révélerai pas encore. Pour moi, il était très important de choisir une équipe qui m’offre des perspectives d’avenir pour la suite, après ma carrière sportive. Même si je ne pense pas encore à me retirer, j’entends désormais lier le sport de haut niveau et la préparation de ma future activité professionnelle. Ma vie ne prendra pas fin avec ma carrière de cycliste professionnel. Au fond, c’est beau de pouvoir prendre un nouveau départ : ce sera comme une nouvelle jeunesse, et il m’appartiendra de bâtir quelque chose de nouveau, même s’il ne me sera pas possible de mener une vie tout à fait normale. Car je suis devenu un athlète, une personnalité connue, un champion. On me reconnaît, dans la rue. A cela, j’ai dû m’y habituer.

Les supporters, une source de motivation
Le succès change ton existence. Mais si cela ne va pas trop vite, on peut s’y faire. Pour le roi de la lutte Kilian Wenger, par exemple, cela a été bien plus dur que pour moi : il a connu la célébrité du jour au lendemain tandis que moi, cela fait plusieurs années que j’évolue à ce niveau même si, bien entendu, il y a toujours quelque chose de nouveau qui arrive.

Pour moi, il y a des valeurs bien plus importantes que la réussite. Ou que la célébrité. Ou encore que la richesse. Ce n’est pas parce qu’on est un champion qu’on est meilleur, sur le plan humain. Je ne viens pas d’une autre planète. Je n’ai pas changé, même si de nombreuses personnes font de moi un personnage que je ne suis pas. Mais la célébrité a aussi ses bons côtés, par exemple lorsqu’on est acclamé par des milliers de supporters. Car les supporters sont importants pour le sport : ils témoignent de la sympathie qu’un athlète peut avoir. Ils sont une grande source de motivation. Pouvoir traverser Berne avec le maillot jaune de leader du Tour de Suisse sur les épaules, cela a été pour moi un peu comme pour Federer lorsqu’il joue à Bâle : un moment exceptionnel ! Il y avait des milliers de supporters massés sur les bords de la chaussée, j’ai ressenti très fortement leur présence tout au long du parcours. Cela m’a énormément motivé.

Dans la vie, il y a des choses plus importantes que le sport. Le cyclisme n’est pas tout : le sport est ma profession, et ce n’est qu’une petite partie de ma vie. Lorsque le jour viendra où je raccrocherai, tout cela sera fini. Je voudrais alors pouvoir dire que j’ai fait tout ce que j’ai pu. Mais ce qui restera pour toujours, c’est la famille. Lorsque je vis quelque chose avec elle, cela me touche bien plus profondément que lorsque je remporte une course importante. Car la famille, c’est ce qui compte vraiment pour moi, dans la vie. Ca et mes amis les plus proches. Peut-être que sur un plan, le succès m’a changé : les aspects matériels ne me satisfont pas. Sur la durée, les objets n’ont aucune importance. J’ai une famille magnifique, c’est beaucoup plus important à mes yeux. Et qui sait ? Peut-être va-t-elle bientôt s’agrandir ! (propos recueillis par Manuela Ryter)


Source: Swiss Olympic

(24.11.2010)