3 JOURS D'AIGLE, CENTRE MONDIAL DU CYCLISME

30.09 - 02.10.2021

PHOTOS: MARCEL COMBREMONT

Un grand merci à

Daniel Gisiger !

 

Il y a eu le génial Oscar Plattner, qui a donné au cyclisme suisse une base solide dans les années 1970-1980 ; puis l'avant-gardiste Paul Köchli, qui a révolutionné l'entraînement grâce à l'ordinateur et aux nouveaux logiciels ; enfin Daniel Gisiger, qui a valorisé le travail de ses prédécesseurs en y ajoutant ses propres connaissances et son expérience de formateur, acquise sur le terrain au contact des jeunes et des espoirs de la nouvelle génération.

A l'heure de la retraite, le cyclisme helvétique peut dire un grand merci à Daniel qui quitte ses fonctions sur un bilan incroyablement positif, avec de nombreux titres mondiaux et mêdailles pour les Küng, Bohli, Mäder, Patrick et Reto Müller, Bissegger, Hirschi, Schir, Thièry, Sutter, Pasche, Marguet, Thiébaud, Imhof, Schmid, Froidevaux, Rüegg, Spengler et compagnie. Une réussite exceptionnelle qui lui a fait dire un jour: « On a rarement eu en Suisse une génération aussi douée ! » Toutefois, rien n'aurait pu se faire sans lui, sans sa vision du cyclisme moderne, sa passion pour la piste et son sens de l'organisation. Et surtout sans un investissement personnel qui lui a toujours tenu à coeur, malgré les difficultés rencontrées au début.

Après sa carrière professionnelle, c'est en Nouvelle Calédonie, où il avait émigré en 1991, que Daniel y a fait ses classes d'entraîneur, comme responsable d'un centre de formation. Double national franco-suisse, il avait en poche le brevet d'État 2ème degré pour fonctionner comme CTR (cadre technique régional). C'est lui qui est à l'origine de la révélation des coureurs néo-calédoniens, dont Teissier, Tejada et Sassone, futurs professionnels sur route, mais surtout du sprinter Laurent Gané, champion du monde de vitesse en 1999 avec l'équipe de France, et champion olympique à Sydney, en 2000 ! Une magnifique carte de visite pour un entraîneur désormais très coté sur le plan international.

De retour en Suisse avec sa famille à fin 2002, après douze années en Océanie, où les tâches et les responsabilités commençaient à lui peser, Daniel y a poursuivi son travail au nouveau Centre mondial de cyclisme, à Aigle, engagé par l'UCI comme responsable Piste et Endurance. Une collaboration prometteuse mais qui tournera court à cause de rivalités internes. Impossible de cohabiter avec son supérieur Frédéric Magné, l'ex-champion du monde de keirin, responsable du Centre et des sprinters.

Une période difficile, pleine d'incertitudes pour cet idéaliste, père d'une famille nombreuse, qui en 2007 acceptera de rejoindre Swiss Cycling malgré un maigre salaire, car la fédération a encore plus d'un million de francs de dette à éponger, héritage de l'ère Steinegger ! On nage en pleine désorganisation. La politique d'austérité réduit les budgets dans tous les secteurs. En fait, tout est à reconstruire. Avec des moyens dérisoires, Daniel réorganise l'entraînement et la formation. Il a en tête le projet de retrouver un quatuor sur piste performant, tel qu'il l'avait connu lui-même à fin 1970. L'amélioration va vite se faire sentir et il sera nommé coach national pour la piste et les juniors (route).

Grâce á son implication auprès des coureurs, le redressement va être spectaculaire. A la fois éducateur, pédagogue et psychologue, Daniel se confirme comme un entraîneur exceptionnel, reconnu pour ses grandes qualités humaines. C'est lui qui fait les courses et la cuisine lors des stages à Hyères, dans le Var, où les sélectionnés suisses doivent aller préparer les grandes échéances, avant que l'industriel Andy Rihs, le patron de BMC, ne permette à la Suisse de disposer dès 2013 d'un magnifique vélodrome couvert, à Granges, où Swiss Cycling va installer ses bureaux.

Avec un tel outil, et aussi la collaboration de Michel Vaucher qui anime la piste d'Aigle, les résultats sont en progression constante. Petit à petit la Suisse cycliste retrouve sur piste sa place parmi les grands. Un renouveau dont Daniel Gisiger est le principal artisan, avec son compère Michaël Bourget. Son action n'a cessé de tirer l'équipe vers le haut, permettant au record de Suisse de passer de 4'18, à son arrivée à la fédé, à 3'49 :820 (en 2019) avec le quatuor Bissegger, Imhof, Rüegg et Robin Froidevaux, puis à 3'49 :110 avec Bissegger et les Romands Schir, Thiébaud, Thièry aux JO de Tokyo, soit une valeur internationale qu'elle n'a plus connue depuis 44 ans !

A l'époque, avec ses compères Dill-Bundi (futur champion olympique aux JO de 1980), Kaenel et Baumgartner, il était déjà à l'origine de la création d'un quatuor sur piste qui allait s'illustrer aux Mondiaux de San Cristobal (Vénézuela), en 1977 : médaille de bronze de la poursuite par équipes derrière les deux Allemagne, mais surtout après avoir dominê l'URSS pour la 3ème place, à huit heures du matin. Ce qui avait fait dire à Oscar Plattner, très fier et fanfaron: « On a battu les Russes avant le petit déjeuner ! »

Un exploit inoubliable, confirmé par la 3ème place de Daniel en poursuite individuelle, et qui était une gifle aux responsables du CNSE et du COS 1). Un an auparavant, ceux-ci avaient refusé de sélectionner pour les JO de Montréal cette fameuse équipe, pourtant qualifiée officiellement. Un coup de poignard qui témoigne de la mentalité des dirigeants du sport suisse en ce temps-là, lesquels n'avaient pas voulu que la délégation du cyclisme fût plus importante que celle de l'athlétisme !

Né à Baccarat (Vosges) d'un père suisse et d'une maman française, Daniel Gisiger, a été formé à l'école de la piste au RRC Olympia Bienne à partir de 1972. Adepte dès les juniors de la méthode prönée par Ernst Straehl, entraîneur à Macolin (force et endurance sans altérer la souplesse), il a pratiqué l'athlétisme en préparation hivernale, ce qui lui a valu plusieurs titres nationaux (points et poursuite par équipes). Il fut aussi deux fois vice-champion de Suisse de poursuite derrière son camarade de club Hans Kaenel, et surtout, le 14 juin 1977, au Hallenstadion de Zurich, nouveau recordman du monde de l'heure amateur sur piste couverte avec 46km745, soit 1'158 m. de mieux que le Lucernois Frédy Rüegg en 1958.

Perfectionniste, il a toujours soigné le détail pour améliorer la performance. Dans ce domaine, il fut un précurseur. Aux Mondiaux sur piste, à Munich, en 1978, il bénéficia d'un vélo révolutionnaire à 20'000 francs, conçu par une équipe de techniciens et de chercheurs zurichois : cadre en fibres synthétiques, tubes oblongs, rayons plats et fourche droite et guidon retourné en forme de « cornes de vache » ! Pas suffisant toutefois pour lui offrir le titre mondial espéré.

Egalement très à l'aise sur route, il s'y est fait connaître amateur sous les couleurs du groupe Allegro, avec lequel il remporta de nombreuses courses. En automne 1977, il passa professionnel chez Lejeune-BP, dirigé par Henri Anglade. Le Tour de Romandie 1978 lui donna l'occasion de signer son premier succès lors du contre-la-montre de Lugnorre, dans le Vully, en battant Kuiper et Michel Laurent. Une arrivée remarquée dans ce nouveau milieu qu'il quitta à fin 1988, après douze saisons d'une carrière bien remplie.

A son palmarès, 29 succès internationaux, dont le GP de Gippingen, des victoires d'étapes aux Tour de Romandie, Tour de Suisse, Tour de Catalogne et Giro, mais surtout deux fois le GP des Nations, officieux championnat du monde contre-la-montre (1981 devant Roche et 1983 devant LeMond) et à trois reprises le Trophée Baracchi, dont l'édition 1981 avec le Genevois Serge Demierre (trois minutes d'avance sur le duo Moser-Knudsen, grands favoris !). Sa dernière réussite fut les Six Jours de Zurich qu'il enleva avec Jörg Müler, à fin 1988. Une sortie en beauté pour un coureur unanimement apprécié et un futur entraîneur à succès.

1) CNSE = Comité national du sport d'élite (NKES en allemand)

COS = Comité olympique suisse

Biographie

Bertrand Duboux